Photo Esplanade – Laurence Kubski
Crickets
Musicien, combattant ou porte-bonheur, le grillon occupe depuis plus d’un millénaire une place importante dans la tradition chinoise. À l’occasion de Photo Esplanade, Laurence Kubski met en lumière cette passion qui enflamme aujourd’hui encore l’Empire du Milieu. Prisés pour leur chant stridulant, les grillons le sont aussi pour les combats. Échangés parfois pour des milliers de yuans, les précieux insectes s’affrontent dans l’arène pour le plus grand plaisir du public qui, malgré l’interdiction, parie parfois discrètement sur un champion.
Dans Crickets, la photographe d’origine fribourgeoise explore les champs de maïs du Shandong ou les vastes marchés d’animaux des grandes villes. Partant à la rencontre des chasseurs d’insectes, des marchands ou des collectionneurs, Laurence Kubski livre une série d’images, composées avec finesse, dans laquelle elle sonde la relation des Chinoises et des Chinois avec cet animal emblématique.
Commissaire d’exposition
Filipe Dos Santos
Vernissage public
Vendredi 31 mars, à 18h30
«Une plongée en images dans le monde fascinant des grillons en Chine, objets de convoitise et de collection.»
Laurence Kubski
D’origine fribourgeoise, la photographe Laurence Kubski (1986*) est diplômée de l’ECAL (Ecole cantonale d’Art de Lausanne). Dans ses séries, l’artiste se penche sur les relations que les humains entretiennent avec le monde animal en examinant les pratiques sociales et économiques dans différentes cultures. Son travail a été présenté en Suisse et à l’étranger, notamment à la Villa Noailles à Hyères, au Copenhagen Photo Festival et lors des Rencontres de la Photographie d’Arles.
D'étranges animaux de compagnie
Dans la série Crickets, l’artiste met en lumière la passion des Chinoises et des Chinois pour le grillon, un insecte emblématique tantôt porte-bonheur ou musicien, tantôt combattant et star des petites arènes construites pour lui.
Appréciés pour leur chant mélodieux, les grillons habitent et animent les maisons chinoises depuis le VIIIe siècle. Symboles de bonheur, de chance, de longévité ou de vie éternelle, ces étonnants animaux de compagnie sont gardés dans des boîtes et glissés dans la poche d’un vêtement afin de se délecter de leur «chant » tout au long de la journée. À partir du Xe siècle, ces insectes musiciens sont également prisés pour leur tempérament belliqueux et des combats de grillons, duels minuscules générant de nombreux paris d’argent, sont organisés pour un public fasciné. Pendant la Révolution culturelle (1966–1976), la «culture des grillons» est réprimée, car considérée comme un passe-temps bourgeois et un symbole du passé. L’interdiction est levée vers 1980, hormis pour les paris qui aujourd’hui, s’ils se pratiquent malgré tout, se déroulent en toute discrétion. L’engouement pour les grillons revient alors à la mode à mesure que les Chinoises et les Chinois se réapproprient d’anciennes traditions.
Le voyage commence dans la province du Shandong dans la petite bourgade de Sidian surnommée la «capitale des grillons». L’artiste y suit des chasseur.euse.s de grillons et croise parfois des membres de la mafia qui achètent discrètement pour des millions de yuans des insectes destinés aux duels et aux paris illégaux. Un bon grillon peut en effet rapporter jusqu’à deux mois de salaire dans cette région du Nord-Est du pays qui a la réputation de faire naître les meilleurs combattants de toute la Chine. L’aventure se poursuit sur les marchés d’animaux et dans les rues des grandes villes à la rencontre des collectionneurs.euses, des passionné.e.s de ces insectes. Au cœur d’étranges arènes, les petits gladiateurs, d’abord séparés par une cloison, sont excités au moyen d’une brindille par leur propriétaire avant de s’affronter sous l’œil attentif d’un arbitre qui comptabilise le nombre d’attaques et de retraits, selon des règles quasiment inchangées depuis le XIIIe siècle.
Partant à la rencontre de cette tradition ancestrale, réanimée par la société chinoise contemporaine, Laurence Kubski dévoile sur l’esplanade du Château de Gruyères une étonnante palette d’images. À travers les paysages, les portraits ou les scènes d’un surprenant quotidien, la photographe ausculte les liens qu’entretiennent les Chinoises et les Chinois avec l’emblématique insecte. Allant au-delà des frontières du documentaire, Laurence Kubski en livre une interprétation toute en finesse et glisse dans sa série des natures mortes ciselées, des visions empreintes tant par les codes de la peinture chinoise que par l’art occidental.